Imposture de la démocratie d’entreprise

2016/11/25
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Pour faire passer la réforme du code du travail préparée par la ministre Myriam El Khomri, le gouvernement et les médias jouent sur deux tableaux. D’une part, ils dénigrent systématiquement ceux qui s’y opposent : étudiants nantis contre jeunes sans diplôme précarisés, travailleurs contre chômeurs… De l’autre, ils brossent un tableau enchanté des accords au cas par cas et du référendum dans l’entreprise.

Sophie BeroudSophie Béroud, Maîtresse de conférences en science politique, université Lyon-II - Triangle (Le Monde diplomatique, Avril 2016)

La présentation du projet de loi de réforme du code du travail préparé par la ministre Myriam El Khomri s’est accompagnée d’une ample campagne de communication. Il faudrait, a-t-on entendu, « faciliter » le dialogue social, promouvoir des accords au plus près des salariés, c’est-à-dire au niveau de l’entreprise, et consulter ceux-ci directement. Les arguments invoqués sont de trois ordres. Le premier, jetant le discrédit sur les relations professionnelles telles qu’elles fonctionnent, laisse croire que le dialogue social serait en panne. Le deuxième puise dans la rhétorique de la proximité : négocier au plus près des salariés reviendrait nécessairement à leur donner plus de place, plus de pouvoir. Enfin, une plus grande autonomie et une plus grande latitude conférées aux employeurs, à travers la négociation d’entreprise, permettraient, nous assure-t-on, de créer des emplois.

Des accords rarement favorables aux salariés

Contrairement aux idées reçues, les négociations au niveau des entreprises occupent déjà une grande place en France. Elles ont connu une importante progression depuis les années 1990. Les délégués syndicaux y consacrent la quasi-totalité de leur temps, souvent au détriment, comme ils le soulignent eux-mêmes, de la proximité avec leurs collègues. En 2014, 36 500 accords d’entreprise ont été signés. Il existe déjà de nombreuses obligations de négocier annuellement dans les entreprises : sur les salaires, la durée et l’aménagement du temps de travail, l’égalité professionnelle, l’épargne salariale, l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Mais les obligations d’aboutir demeurent exceptionnelles, et les négociations se concluent rarement par des accords dès lors qu’il s’agit d’augmenter les salaires ou de créer des dispositions favorables aux salariés.

Loin d’être nouveau, le discours enchanté sur la négociation « au plus près des travailleurs » vise à s’affranchir du « principe de faveur » qui a été au cœur de la construction historique du droit du (...)