Le syndrome de la citrouille
Il y a un petit mois, les citrouilles furent de sortie à peu près partout, jusques et y compris au Pays Basque. Vous l’avez compris, il s’agissait d’Halloween.
Une fête bien innocente, fort amusante pour tous les enfants, mais qui me paraît bien plus dangereuse qu’il n’y paraît, ici comme ailleurs.
Besta bai, kultura ere bai
En disant cela, je ne voudrais pas passer pour le rabat-joie de service. Il est évident qu’une fête de ce type a tout pour plaire, crée de l’animation et du lien social, et à ces titres on peut encore préférer cela à voir les gens s’abrutir devant leur écran d’ordinateur ou de télévision.
Derrière Halloween, ce n’est pas la fête en principe que je souhaite mettre en cause, mais cette fête bien précise. On le sait, Halloween est une fête venant directement des Etats-Unis, où les immigrants irlandais l’avaient introduite, il y a plusieurs décennies.
Hors tout débat légitime sur la colonisation de l’Amérique, on peut considérer que fêter Halloween à Boston ou New-York a du sens, y compris pour un Basque qui irait s’y installer et chercherait de manière parfaitement vertueuse à intégrer les modes de vie locaux.
Par contre, la fêter en France, au Pays Basque, ou partout ailleurs dans le monde comme cela devient le cas à l’heure actuelle, pose un sérieux problème.
S’il s’agissait de la communauté américaine de Biarritz ou de Bayonne fêtant Halloween comme la communauté chinoise fête son Nouvel An, cela ne me poserait aucun problème. Bien au contraire, ce serait même la démonstration concrète de l’intégration réussie d’immigrés au Pays Basque, ces derniers adoptant les moeurs et coutumes locales sans oublier les leurs, voire en les partageant.
Tout cela constituant une communauté ouverte, tolérante et finalement d’une grande richesse.
Mais le phénomène Halloween n’a rien à voir avec cela. Halloween, c’est l’uniformisation culturelle – et encore je ne sais même pas s’il faut réellement parler de culture – fondée sur les modes de vie américains et répandus sur le monde entier. C’est exactement le pendant festif du phénomène MacDonald en gastronomie ou des groupes de variété estampillés CBS ou Warner en matière musicale. Nous sommes là en présence d’un modèle totalement hors-sol, en dehors du monde celte ou des Etats-Unis. Par quelque bout qu’on puisse prendre cette fête – l’usage de la citrouille, le moment de l’année, le déroulement de la fête elle-même et sa signification –, rien n’est ancré dans les cultures locales ; ni au Pays Basque, ni à Paris, ni ailleurs. Halloween n’existe ici que parce que cela fait bien de faire la fête comme aux Etats-Unis, et parce qu’on a été abreuvés de ces modèles à longueur de séries télévisées américaines, de publicités ou de produits de grande distribution.
Halloween et Ihauteri
Tout cela ne serait pas vraiment inquiétant si ce modèle désormais universel cohabitait avec les réalités locales en bonne intelligence. Après tout, on peut parfaitement manger un hamburger le lundi et un boeuf bourguignon le mardi, ou écouter un groupe de pop américaine sans renoncer à la pop basque, voire même s’exprimer en anglais tout en conservant l’usage de l’euskara. Cela permet même de varier les plaisirs et les usages.
Mais le problème vient du fait que nous sommes bel et bien dans un rapport de substitution et de concurrence plutôt que d’équilibre.
A Saint-Jean-de-Luz, un énorme saut a été franchi dans l’organisation de Halloween dans la ville cette année, alors même que des pratiques culturelles locales à peu près comparables peinent à se maintenir, voire périclitent, comme c’est le cas d’Ihauteri.
Pire, la subvention municipale accordée à l’association organisant notre carnaval luzien a baissé, alors que l’organisation de Halloween a été largement soutenue dans son organisation et sa promotion par les deniers publics.
Même à Ustaritz on a fêté Halloween, alors que d’années et années le nombre de chars et de participants à Lapurtarren biltzarra s’essouffle. A vouloir singer ainsi la culture américaine (ou quelque autre modèle unique que ce soit) dans tous les domaines, en lui sacrifiant progressivement leur propre culture, peu à peu les hommes et les femmes du monde entier prennent sans même s’en rendre compte la voie d’un appauvrissement de l’humanité.
Car c’est surtout dans sa diversité que cette dernière tient sa principale richesse, qui est également le fondement de l’échange et du partage ; quel intérêt à partager quelque chose qu’on a déjà chez soi ?
Quel intérêt à venir au Pays Basque pour y voir les enfants s’y mettre une citrouille sur la tête comme partout ailleurs aujourd’hui, sans autre raison que celle de reproduire ce qu’ils ont vu à la télévision ?
Nos différences en partage
On pourra penser que tout cela est exagéré et que Halloween n’est qu’un événement bien anodin ou inoffensif. Mais à mes yeux, c’est l’inverse car ce n’est pas un phénomène isolé ; on a là un véritable syndrome, une sorte de “syndrome de la citrouille” : mis bout à bout avec toutes les autres déclinaisons de l’uniformisation des moeurs, étendu partout dans le monde et sur le temps long, nous avons en germe un péril à la fois sur le local (par sa disparition pure et simple) et sur l’universel (par son aseptisation).
Brandir son identité et sa culture comme des remparts à la fois chauvins et porteurs d’exclusion est un signe néfaste, sans aucun doute.
Mais les défendre comme patrimoine propre, comme apports au monde et donc comme fondements d’échange, est une vertu, je dirai même une nécessité.
Car le jour où tous les hommes et les femmes se ressembleront à s’y méprendre, nos cinq sens auront perdu beaucoup de leur utilité, en tout cas de plaisir.