LGV: le lehendakari Pradales contre la majorité d’Ipar Euskal Herria
Les élus de la Communauté d’agglomération du Pays Basque se sont prononcés clairement en 2021 : sur 158 représentantes, 144 – soit plus de 80 % – rejettent la construction d’une nouvelle ligne pour la ligne à grande vitesse (LGV). Il ne s’agit pas d’une décision prise à la légère, mais du résultat de plusieurs décennies de travail : analyses, rapports sur l’impact environnemental, l’occupation des sols, le logement, l’économie, ainsi que l’écoute des préoccupations et des besoins de la population et de la société organisée du territoire. La conclusion est nette : une nouvelle ligne est inutile, inadaptée et non bénéfique, et sa viabilité comme sa rentabilité économiques suscitent de sérieux doutes.
Les élus ne sont pas opposés au train en tant que tel. Au contraire, ils défendent la modernisation de la ligne Bordeaux–Irun, qui répond mieux aux besoins actuels, avec une efficacité accrue et un impact environnemental moindre. De nombreux experts partagent ce point de vue.
Les associations Bizi! et CADE alertent depuis des années sur les dégâts environnementaux qu’entraînerait la LGV : destruction d’espaces naturels, occupation massive des sols et fortes émissions de CO₂. Ces impacts ne sont pas des effets secondaires, ils font partie intégrante du projet de grande infrastructure.
À cela s’ajoute, comme l’ont reconnu plusieurs élus et acteurs sociaux, le risque d’une flambée des prix du logement. Comme dans d’autres territoires, le modèle de mobilité fondé sur la grande vitesse alimente la spéculation foncière et un développement urbain déséquilibré et non durable, qui fragilise les communautés locales et transforme la structure du territoire. Tout cela peut aggraver un problème social déjà particulièrement grave en Ipar Euskal Herria.
Il n’existe donc aucune justification technique, économique ou sociale à la construction d’un nouveau tracé de LGV en Ipar Euskal Herria. L’opposition est large depuis trente ans et a été ratifiée par 80 % des élus en 2021.
Dans ce contexte, la position adoptée ces dernières années par le Parti Nationaliste Basque (PNB) et le gouvernement basque est, à mes yeux, scandaleuse et inacceptable du point de vue abertzale comme du point de vue démocratique. Iñigo Urkullu d’abord, puis Imanol Pradales aujourd’hui, ont réclamé à de multiples reprises que la LGV et sa connexion avec Ipar Euskal Herria se fassent au plus vite, à l’encontre de la volonté très majoritaire des élus, des acteurs sociaux et des citoyen·ne·s du territoire.
Il ne s’agit pas d’une simple divergence d’opinions. Le problème est que les institutions d’un territoire d’Euskal Herria exercent une pression institutionnelle contre ce qu’un autre territoire a travaillé, débattu et décidé démocratiquement. C’est ce qui s’est produit lorsque Urkullu et Pradales ont noué des alliances politiques avec le président de la Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, avec le coordinateur du corridor atlantique européen, François Bausch, et avec le commissaire européen aux Transports, Apostolos Tzitzikostas, afin de faire prévaloir leurs intérêts au-dessus des décisions des institutions et des citoyens d’Ipar Euskal Herria.
La situation est particulièrement grave d’un point de vue abertzale. Comment comprendre que le président d’une institution basque, et un projet politique qui affirme reconnaître Euskal Herria dans son ensemble, cherchent des alliances avec des responsables extérieurs au Pays Basque pour s’opposer à une décision adoptée démocratiquement – et à une très large majorité – dans un autre territoire basque, en utilisant en plus les instruments d’autogouvernement récemment conquis ? Comment justifier que l’on en vienne à demander au gouvernement français d’imposer le projet de LGV contre la volonté clairement exprimée par la population basque de ce territoire ?
Le débat autour de la LGV met en cause le modèle de développement, la durabilité, le respect entre institutions et le fonctionnement même de la démocratie. La règle démocratique la plus élémentaire consiste à respecter les décisions qu’un territoire prend en fonction de sa réalité et de ses besoins. Agir à l’inverse mine la confiance entre institutions et détériore les relations entre territoires. Ce n’est ni juste politiquement ni acceptable d’un point de vue éthique, et c’est, à mon sens, une grave erreur du point de vue de la construction nationale que de voir les responsables d’un territoire tenter de neutraliser, par l’imposition, la volonté des élus et des citoyens d’un autre.
Euskal Herria, dans son ensemble, mérite de pouvoir décider et de voir ses décisions respectées. Imposer de l’extérieur un projet qu’un territoire ne veut pas n’est ni de la collaboration ni de l’intégration, et cela n’a rien à voir avec la construction nationale ; au contraire, cela génère fractures et méfiance.
Il est nécessaire d’ouvrir un véritable débat sur le modèle de transport actuel et sur celui de demain. L’urgence climatique, la mobilité durable et la cohésion territoriale exigent des discussions profondes. Pour ma part, mon opinion est claire. Mais quelle que soit la position de chacun, il est inadmissible de recourir à l’imposition ou d’essayer de faire taire la voix des citoyens, a fortiori lorsque cela vient de celles et ceux qui sont censés les représenter.
Ipar Euskal Herria l'a clairement déclaré: elle ne veut pas d’un nouveau tracé de LGV. Elle a également mis une alternative sur la table: la modernisation de la ligne existante Bordeaux–Irun. C’est pourquoi, Monsieur le lehendakari, je vous demande de respecter ce que ce territoire a travaillé, débattu et décidé démocratiquement, et de respecter les institutions d’Euskal Herria ainsi que les décisions qu’elles prennent.
Il ne s’agit pas seulement de la LGV: c’est notre conception même de la démocratie qui est en jeu. En ce sens, Ipar Euskal Herria a donné une leçon exemplaire: elle a écouté les citoyens, les acteurs sociaux, la société organisée et, avec le soutien d’une large majorité d’élus, elle a placé au premier plan les besoins du territoire et la défense de l’environnement. J’aimerais que d’autres institutions fassent de même ou, au minimum, qu’elles se montrent disposées à écouter la voix des acteurs sociaux, de la société organisée et de la population.
