Société civile, dernier rempart face aux multinationales?

2018/02/23
Photo by Laurenz Heymann on Unsplash
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Face à des gouvernements qui donnent la priorité aux “investisseurs” sur les droits humains et de la planète, il appartient à chacun.e d'entre nous de renforcer les mouvements citoyens et autres formes de “contre-pouvoirs”. Une tribune signée par Sandra Cossart (directrice de Sherpa), Susan George (présidente d'honneur d’Attac France), Jean-François Julliard (directeur général de Greenpeace France) et Birthe Pedersen (présidente d'Action Aid France – Peuples Solidaires).

Sandra Cossart, Susan George, Jean-François Julliard et Birthe Pedersen. Publié dans Mediapart.

Ce lundi 12 février Attac est assigné en référé par Apple. La marque à la pomme menace Attac d'une astreinte bâillon de 150 000 € pour toute future action ciblant un Apple Store. Ce procès n’est que le dernier épisode d’une longue série d’affrontements judiciaires opposant des multinationales à des lanceurs d’alerte, des journalistes ou des associations.

Ces entreprises se retrouvent en situation de force pour influencer la fabrique des lois ou pour trouver des failles afin de contourner les dispositions qui leur déplaisent, comme l'ont montré les scandales fiscaux tels que les LuxLeaks ou les Paradise Papers. Elles sont les grandes gagnantes du libre-échange qui leur permet de mettre les pays en concurrence pour peser lourdement sur les normes sociales, fiscales et environnementales.

Que ce soit en matière de droits sociaux et humains, de préservation des écosystèmes ou d’évasion fiscale, les multinationales semblent avoir gagné la bataille face à des États complaisants ou trop faibles pour s'opposer à leur pouvoir et leurs armées de lobbyistes. Ces entreprises ont l'oreille de la plupart des chefs d'États et disposent de capitalisations boursières dépassant le PIB de nombreux pays. Elles se retrouvent en situation de force pour influencer la fabrique des lois ou pour trouver des failles afin de contourner les dispositions qui leur déplaisent, comme l'ont montré les scandales fiscaux tels que les LuxLeaks ou les Paradise Papers. Elles sont les grandes gagnantes du libre-échange qui leur permet de mettre les pays en concurrence pour peser lourdement sur les normes sociales, fiscales et environnementales. 

Leurs agissements sont rarement signalés par les services d'enquête et de répression étatiques. À chaque fois, les scandales fiscaux ou sanitaires sont révélés par des journalistes et des lanceurs d'alerte ; les failles en matière de protection des données sont dénoncées par des hackers, les défaillances de sécurité dans des centrales nucléaires sont démontrées par des activistes environnementaux... Alors que les États se concurrencent férocement pour attirer à tout prix les multinationales sur leur territoire, la société civile internationale, dans sa grande diversité, apparaît de plus en plus comme le dernier rempart capable de leur faire contrepoids.

Les ONG et les citoyen.ne.s subissent des pressions, font l'objet de représailles et se retrouvent entraînés dans de longues et coûteuses batailles judiciaires. Les plaintes à répétition de Vincent Bolloré contre des journalistes et des associations, les poursuites engagées par BNP Paribas contre les faucheurs de chaises ou par Apple contre Attac en sont autant d'illustrations. 

Les acteurs de la société civile savent aussi passer à l'offensive comme le montrent l'assignation en référé déposée par le journaliste Edouard Perrin et le lanceur d’alerte Raphaël Halet contre Price Waterhouse Cooper, la plainte pour obsolescence programmée déposée par l'association HOP contre Apple ou celle déposée par les associations Sherpa et ActionAid France - Peuples solidaires pour pratiques commerciales trompeuses qui révélerait des violations des droits fondamentaux des travailleurs dans les usines de Samsung. Toutefois la disproportion des ressources est criante entre ces empires milliardaires et les défenseurs et défenseuses des droits. 

Face à des gouvernements qui donnent la priorité aux "investisseurs" sur les droits humains et de la planète, il appartient à chacun.e d'entre nous de renforcer les mouvements citoyens et autres formes de “contre-pouvoirs”.

Si ces personnes, ces associations, se retrouvent devant la justice, c’est parce qu'elles ont fait le choix d’agir face à des situations d'injustice graves et de passivité des pouvoirs publics. Ces batailles judiciaires inégales révèlent un besoin de reconnaissance et de protection bien plus importants de leur travail. Cela passe notamment par la création d'un véritable statut protecteur des lanceurs d'alerte - au-delà de la très insuffisante loi Sapin - ou par des mécanismes de protection beaucoup plus efficaces et dissuasifs face aux poursuites bâillons. Nos associations, membres du collectif « On ne se taira pas ! » se mobilisent justement pour ces réformes, au nom de l’intérêt général. La protection passe aussi par une sanctuarisation des moyens d’action de ces associations.

C'est malheureusement un mouvement inverse qui est à l'œuvre avec la baisse des financements publics et la suppression des emplois aidés qui mettent en péril la survie de nombreuses associations. Face à des gouvernements qui donnent la priorité aux "investisseurs" sur les droits humains et de la planète, il appartient à chacun.e d'entre nous de renforcer les mouvements citoyens et autres formes de “contre-pouvoirs”. Au-delà de l'actuelle conjoncture politique, favorable aux oligarchies, la nécessaire transition vers un autre modèle de société plus juste et plus soutenable ne se fera pas sans une société civile forte et indépendante capable de porter et de renforcer les attentes de la majorité.