Aiete ou le chemin de la politique
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Dans quelle mesure pouvons-nous dire que le Pays basque vit une période particulière de son histoire depuis la Conférence internationale de Paix d’Aiete d’octobre 2011 ?
Depuis la Conférence Internationale de Paix d’Aiete, nous sommes entrés dans une période historique de désarmement et de la fin d’un conflit violent de plus de 50 ans. Le problème est que, depuis 4 ans, les choses n’ont pas beaucoup évolué. La fin de l’activité militaire de l’ETA est inscrite au premier point des recommandations et a – certainement – été organisée avant la Conférence. La suite du processus, à mettre en œuvre par l’intervention des Etats, ne s’est ensuite pas enclenchée.
L’attitude des Etats s’explique (sans aucunement la justifier) parce qu’ils n’étaient pas à Aiete. Le processus a en effet été totalement unilatéral. Sa réussite s’explique d’ailleurs par le fait qu’il n’a pas nécessité une négociation avec les Etats. Le problème est en revanche qu’ils ne se reconnaissent pas engagés par une feuille de route qu’ils n’ont ni négociée ni validée.
La méthode Aiete vient après trois négociations précédentes (Alger, Lizarra Garazi et Loiola) ayant abouti à des échecs. Aiete en tire les conséquences et ne négocie plus ni la trêve, ni les mesures après la trêve. Le processus d’Aiete organise une fin de lutte armée totalement unilatérale… On ne négocie pas, on met la trêve sur la table et on fait en sorte que le conflit politico-militaire s’auto- transforme en un processus exclusivement politique.
Depuis 2011, la logique a un peu changé. Tant que le mouvement basque a pu conduire le processus de paix tout seul, il l’a fait avancer. Maintenant qu’il a besoin du répondant des autres partenaires, il est au contraire bloqué car eux refusent d’y prendre part.
Stratégiquement, le fait que l’Espagne ne souhaite pas participer au règlement du conflit n’est pas surprenant. Vu de Madrid, il est en fait déjà réglé en raison de la fin de la dangerosité militaire de l’ETA. L’intérêt politicien, à court terme, est donc de maintenir l’apparence d’un conflit et la répression anti-terroriste.
Face au blocage des Etats, on voit bien que l’efficacité des appels à la négociation, à la participation au processus de paix demeure malheureusement restreinte.
La Conférence humanitaire pour la paix au Pays Basque du 11 juin 2015 destinée aux parlementaires et aux structures politiques, associatives et syndicales, a permis la participation d’intervenants prestigieux dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale et a été un succès au niveau de la socialisation. On peut toutefois regretter qu’elle n’ait pas pu avoir davantage d’effets. Le Gouvernement français, semble toujours jouer la carte de la « solidarité gouvernementale » avec Madrid indépendamment des personnes qui sont au pouvoir dans les deux pays.
Compte tenu de ce contexte, se poser la question du « pourquoi » est certes intéressant, mais une action sur les faits est peut-être plus efficiente. La clé réside toujours dans l’unilatéralité. La logique d’Aiete est de transformer le conflit militaire en un conflit politique, ce qui a plutôt bien marché. Le processus a fait croître le vote souverainiste, ce dont témoignent les bons résultats électoraux de Bildu et Amaiur.
Pourtant, Paris et Madrid n’ont pas changé leur registre concernant le traitement du conflit au Pays Basque et semblent loin de l’ouverture d’un dialogue traitant exclusivement des conséquences du conflit. Madrid ne reconnaît d’ailleurs même pas les médiateurs. Est-ce qu’il y a des cas similaires dans le monde où les Etats impliqués ont finalement changé d’attitude ? Quels ont été les éléments déclenchant ?
Des conflits qui se bloquent puis se débloquent sont courants. En Afrique du Sud, la dimension géopolitique a permis dans les années 90 de dénouer la situation, car les gouvernements occidentaux ont cessé de soutenir un régime raciste.
Au niveau du conflit basque, la question des prisonniers se règlera quand la classe politique espagnole construite dans l’anti-terrorisme changera. Ce changement radical ne sera pas impulsé par le gouvernement français. En revanche, une alternance « radicale » à Madrid pourrait être le facteur déclenchant. Un gouvernement conduit ou soutenu par Podemos pourrait ainsi ouvrir des perspectives sur ce terrain. Lorsque les acteurs sont sources de blocage, seul leur renouvellement peut en effet profondément modifier la situation. Dans un tel scénario, le gouvernement français ne s’opposerait certainement pas à cette évolution.
La vraie question demeure toutefois l’avenir politique du Pays Basque. Elle est le cœur du conflit et de sa résolution. En Catalogne, un gouvernement régional s’est engagé dans la voie de l’indépendance de façon radicale, non-violente et démocratique. Est-ce également la voie pour les Basques ? C’est dans cet enjeu de l’indépendance que réside la transformation du conflit militaire en conflit politique. Dans le point 3 de la Déclaration de la Conférence Internationale de Paix d’Aiete, il est recommandé que «les représentants politiques et acteurs non-violents se rencontrent pour discuter des questions politiques et, en consultation avec la population, de tout autre sujet qui pourrait contribuer à créer une nouvelle ère pacifique ». La clé est là, car la violence n’était pas une fin, mais un moyen. Dès lors, la fin de la violence ne consiste pas en la fin de la revendication de l’indépendance, mais en un renouvellement profond de la méthode de cette revendication.
De façon générale la résolution d’un conflit de cette nature peut paraître technique, distante et lointaine par rapport au quotidien des citoyen(ne)s du Pays Basque. Qu’est ce qui peut aider à faire prendre conscience de l’importance d’un tel processus, que c’est l’ »affaire de tous » ?
Le but du processus ou méthode d’Aiete est que le conflit militaire se transforme en problème politique et trouve une solution démocratique. Le règlement démocratique d’un problème politique passe par la constitution d’une majorité homogène soutenant la solution de l’indépendance et débutant un processus à la catalane.
Le refus des gouvernements espagnols et français de s’engager dans la résolution du conflit (cas des prisonniers, etc.) n’empêche ni de mettre en place d’une telle coalition, ni de continuer à militer pour que leur posture évolue.
Cette solution politique devra en revanche s’appuyer sur une base sociale à même de porter un projet indépendantiste alternatif à la violence, car le recours à la violence est consécutif de la conviction d’une part de la société de l’absence d’issue légale à la revendication indépendantiste. Après la fin de la lutte armée, cette dernière doit ainsi être repensée électoralement et socialement…