Coronavirus : sept leçons de la crise

2020/05/21
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Txetx Etcheverry, fondation Manu Robles-Arangiz.

Maintenant que “le roi est nu” (Enbata d’avril 2020), la crise sanitaire rend pertinente l’organisation collective. La métamorphose sociale et économique est tangible et il est possible de remettre les pieds sur terre, au plus près de nos territoires. Un enjeu qui n’est pas seulement environnemental et redéfinit une hiérarchie des valeurs.

Nous devons tirer des leçons de cette crise du coronavirus, de ses causes, de l’incapacité du néo-libéralisme et de nos dirigeants actuels à la prévenir, à la contenir et à la gérer rationnellement. Et nous devons tirer les leçons de ce qu’elle révèle de la fragilité de nos sociétés de moins en moins autonomes et résilientes. Je voudrais aujourd’hui m’arrêter ici, sur sept d’entre elles.

1) Une remise en cause idéologique

L’idéologie néo-libérale de nos dirigeants, qu’ils soient de droite, d’En Marche ou de “gauche” à la mode Hollande, ne nous permet pas de nous préparer aux crises inédites qui vont se multiplier dans nos sociétés et sur notre planète tellement mises à mal par le modèle de développement capitaliste. La fameuse “main invisible du marché” s’avère impuissante à réagir à temps et à gérer comme il se devrait les accidents financiers, comme en 2008, ou sanitaires comme aujourd’hui. De même, loin de maîtriser le changement du climat elle le cause et l’aggrave. Cette crise sanitaire rend au contraire, plus actuels et pertinents que jamais des concepts clefs de l’éco-socialisme et du camp de la justice sociale et de l’urgence climatique comme anticiper, planifier et organiser collectivement. Elle démontre également que l’intérêt individuel ou la recherche de profits personnels sont loin d’être les seules motivations possibles dans nos sociétés. La solidarité et l’entraide entre voisins et habitants d’une même localité, le sens civique des populations, le dévouement de personnels pourtant mal payés comme les soignant-e-s par exemple, le sens de l’intérêt collectif qu’ont manifesté tant d’élus, d’agents administratifs ou de bénévoles associatifs sont autant de valeurs dont cette crise a souligné l’importance et l’enjeu pour nos sociétés.

2) Quand on veut on peut

Depuis 40 ans maintenant, les penseurs et commentateurs néo-libéraux d’un côté, et la “gauche” résignée, les radicaux “insurrectionnalistes” ou les tenants du changement individuel de l’autre, nous auront asséné des poncifs sur l’impuissance de l’État ou du politique. C’est au choix et selon les sensibilités politiques : “L’État est le problème, pas la solution. L’État ne peut pas tout. Tous les mêmes. Voter ne sert à rien. Si les élections servaient à quelque chose, il y a longtemps qu’elles seraient interdites. Quel que soit le gouvernement, il ne peut rien changer. Ce sont les multinationales qui gouvernent. Je ne fais pas de politique. Je crois plus au changement individuel, et à son exemplarité.” Ces thèses ont largement diffusé dans les esprits, et nuisent beaucoup au camp du changement. C’est en son sein que celles et ceux qui devraient utiliser toutes les ressources de la puissance collective, publique, se laissent convaincre que puisqu’elle ne “peut pas tout”, c’est donc qu’elle ne peut rien, et qu’il faut laisser l’économie capitaliste et la doxa néo-libérale tout régenter. Et c’est bien évidemment en son sein, que gagnés par la résignation, ou le sentiment que la puissance publique ne peut rien, les gens s’abstiennent, refusent de renforcer par leur vote les alternatives écologiques et sociales, dénigrent, diabolisent ou ridiculisent l’engagement politique ou la participation aux institutions. Or, il a suffi d’un petit virus pour démontrer à la masse des gens que quand on veut on peut. La puissance publique peut, si elle le décide, fermer un grand nombre d’entreprises et d’activités jugées non indispensables, peut contrôler et filtrer ses frontières, stopper la circulation aérienne, réquisitionner des entreprises, subventionner massivement tel ou tel secteur, accompagner d’urgence telle reconversion, limiter drastiquement la circulation automobile ou interdire tel comportement ou activité jugée nuisible à l’intérêt collectif ou à la santé publique. Les États, la démocratie, ses institutions ont donc bien le pouvoir de “remettre l’économie à sa place”, de la ré-encastrer dans un certain nombre de contraintes et matrices dictées par la société, la volonté collective, l’intérêt public et le bien commun. On peut subordonner l’économie aux besoins humains, et non l’inverse, comme l’a brillamment décrit Karl Polyani dans La grande transformation. On comprend qu’il serait tout à fait envisageable, s’il y en avait la volonté publique, de mettre en route dès maintenant la métamorphose sociale et écologique qui pourrait éviter le pire à l’Humanité.

3) Pas de “grand soir de l’effondrement”

Contrairement à la vision millénariste de certains “collapsologues”, il n’y a pas de “grand soir de l’effondrement”. Malgré une économie mondiale à l’arrêt, des échanges internationaux brutalement stoppés, plus de la moitié de la population mondiale confinée, le système ne s’est pas écroulé. Encore moins en quelques jours comme voulaient le croire certains. La capacité de résilience du système n’est pas négligeable et peut permettre au capitalisme de s’adapter et de se réorganiser, d’une manière qui risque d’être payée au prix fort par les plus vulnérables. Arrêter de lutter pour sa transformation ou son remplacement en prétextant qu’il va s’effondrer de lui-même et qu’il vaut mieux se préparer à l’après, risque fort de causer beaucoup de désillusions, au moins dans les quelques décennies à venir. Par contre, il est de plus en plus évident que nous allons connaître une répétition de crises majeures aux origines diverses, qui seront autant de moments de remises en cause du système, de prises de conscience des populations. Si nous nous y préparons dès aujourd’hui, si nous nous organisons de mieux en mieux et de plus en plus massivement, nous pouvons les transformer en opportunités de changement, de bifurcation, qui évitent justement l’effondrement à terme, non pas du système mais de nos sociétés.

Dans la droite ligne du projet Euskal Herri Burujabe,
l’alternative est là, bien tangible,
à la portée de chacun·e d’entre nous
et elle a déjà commencé à se construire, ici et maintenant.
Il s’agit de mettre en route, partout dans le monde,
1000 projets de territoires souverains, soutenables et solidaires

4) Qu’est ce qui est essentiel ?

Cette crise et cette longue période de confinement peuvent aider à revoir la hiérarchie des valeurs construite dans l’inconscient collectif par le capitalisme et la société de consommation.

Quels sont nos vrais besoins, ceux qu’il est indispensable d’assurer, et quels sont ceux qui sont moins incontournables ? Au-delà de nos besoins de base, santé, nourriture etc. qu’est-ce qui est vraiment important ? De quoi avons le plus besoin ? Plus de biens ? Plus de liens ? Plus d’artifices pour fuir la réalité ou plus de sens à nos vies ? Edgar Morin appelle à profiter de cette déflagration mondiale pour “nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins, nos vraies aspirations masquées dans les aliénations de la vie quotidienne”. Quelles sont les professions dont ne peut pas se passer une société ? Les publicitaires ? Les traders ? Les commerciaux ? Les designers ? Ou les aides-soignantes ? Les éboueurs ? Les caissières ? Leurs salaires et leur prestige social correspond-il à leur niveau d’utilité ? Quelles sont les activités et productions qu’on pourrait supprimer ou radicalement limiter pour réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre, l’extraction de matières premières et de ressources diverses et notre empreinte écologique globale ?

5) La nature passe sa facture

Il est encore trop tôt pour connaître avec certitude l’origine du virus Covid19. Ce que l’on sait par contre, c’est que déforestation, urbanisation grandissante, élevage industriel et intensif sont la cause actuelle de la multiplication des zoonoses, maladies transmises de l’animal à l’humain, qui constituent au moins 60% des maladies infectieuses émergentes. Dans un tout autre registre, le GIEC et la Banque Mondiale avertissent depuis des années déjà, que le changement climatique va multiplier les pandémies tropicales sous nos contrées. Et la fonte du pergélisol (ou permafrost) qu’il cause pourrait réveiller des virus vieux, oubliés ou inconnus de nos défenses immunitaires actuelles. La crise actuelle fait toucher du doigt à nos sociétés entières que la nature passe tôt ou tard la facture des dégradations et perturbations que l’on peut lui causer. Et qu’on l’a tellement abîmée que l’on paie désormais cette facture cash et à très grande échelle. Dérèglement du climat, fragilisation des écosystèmes, extinction de la biodiversité causés par notre modèle de développement actuel vont avoir des conséquences de plus en plus coûteuses pour l’Humanité, actuelle et à venir. Selon une étude internationale, dirigée par Yi- Ming Wei (institut de technologie de Pékin) publiée ce mois-ci dans la revue Nature Communications, le coût de l’inaction climatique sera comparable à celui d’une pandémie annuelle, d’une crise telle que celle du coronavirus chaque année ! Cette crise sanitaire qui suit de près les gigantesques incendies en Australie, est accompagnée d’une invasion massive de criquets en Afrique de l’Est et d’une une sécheresse exceptionnelle en Europe centrale. Bref, nos sociétés commencent à intégrer le fait que l’urgence écologique et climatique n’est pas tant une question environnementale qu’un problème énorme, essentiel, incontournable sur les plans sanitaire, alimentaire, économique, social et démocratique, et ce pour l’Humanité toute entière.

6) Nos sociétés sont fragiles

Si le grand effondrement n’a pas eu lieu, cette crise révèle quand même au grand jour l’extrême vulnérabilité et dépendance de nos sociétés actuelles. Un virus contenu dans un animal consommé sur le marché d’une ville chinoise (ou échappé d’un laboratoire de la même ville, peu importe), se répand à travers la planète en quelques semaines à peine, grâce à l’explosion du trafic aérien, qu’il soit lié aux échanges commerciaux ou au tourisme de masse. Et il est désormais là, partout, pour un an ou plus, le temps de mettre au point le vaccin qui pourra l’éradiquer, en espérant qu’il n’ait pas muté entre temps. Jusqu’au prochain ? On s’aperçoit alors que ces décennies de démantèlement de l’État providence, des services publics, des politiques publiques de santé nous rendent incapables de contenir (par la distribution massive de masques et produits désinfectants, par un dépistage précoce et massif et des mises en quarantaines ciblées) la pandémie, le temps de trouver un traitement pour faire face à ses conséquences les plus graves, et qu’il faut du coup recourir à des méthodes du Moyen-Age comme le confinement de l’ensemble des populations menacées. On se rend compte que nous dépendons de l’autre bout du monde pour l’élaboration de nos propres médicaments, masques de protection ou tests de dépistage, et que notre économie s’arrête s’il lui manque un certain nombre de pièces produites sur d’autres continents. Et on commence à s’interroger sur notre niveau global de dépendance et donc de vulnérabilité aux crises économiques, politiques, sanitaires ou militaires à venir.

7) Reprendre possession de nos conditions de vie

Cette crise peut aider à faire germer la conviction du besoin indispensable de changer de système avant qu’il ne soit trop tard, de renforcer le combat contre le “retour à l’anormal”. Nous voulons et nous pouvons construire une autre manière de gérer nos sociétés et de concevoir les relations entre humains, et entre Humanité et nature. Il existe des alternatives au modèle économique actuel, et l’économie peut et doit avoir une place radicalement différente dans nos vies et nos sociétés, pour qu’elle redevienne un moyen et non une fin et une menace. Nous devons retrouver nos souverainetés réelles, alimentaires, médicales, énergétiques, économiques, culturelles, au plus près des territoires dans lesquels nous vivons, pour y cultiver solidarité et diversité, sources de résilience. Nous devons relocaliser l’économie et la démocratie. Nous devons remettre les pieds sur terre, tout en prenant conscience de notre interdépendance face aux grands enjeux actuels. Edgar Morin, encore, nous dit que cette crise met en relief “la communauté de destin de tous les humains en lien inséparable avec le destin bio-écologique de la planète Terre”. Personne ne s’en sortira uniquement de son côté, face au changement climatique ou aux diverses pandémies. Les grands défis de notre temps sont des questions à solidarité internationale obligatoire. En une phrase, il nous faut au sein de chaque communauté locale, au niveau de chaque territoire, reprendre possession des conditions de nos vies afin de ne pas contribuer davantage à l’effondrement de ce monde, et pour mieux se préparer aux crises à venir, rendues inévitables par les dégâts déjà causés. Cette crise du coronavirus nous indique la voie à suivre, dans la droite ligne du projet Euskal Herri Burujabe. L’alternative est là, bien tangible, à la portée de chacun·e d’entre nous et elle a déjà commencé à se construire, ici et maintenant. Il s’agit de mettre en route, partout dans le monde, 1000 projets de territoires souverains, soutenables et solidaires, pour stopper cette mondialisation capitaliste et néo-libérale qui menace de détruire nos sociétés et nos conditions de vie dignes et civilisées sur cette planète. Nous y prendrons notre part.