Ce que la LGV ralentit... et ce qu'elle accélère
Txetx Etcheverry, Manu Robles-Arangiz
Article de Alda! 2012ko urriaren 4a
Ils constituent d'ores et déjà une des principales causes de l'augmentation du prix des denrées alimantaires de base et donc de l'aggravation de la faim dans le monde (avec la montée en puissance des agro-carburants elle-même liée à la crise énergétique, l'accroissement de l'alimentation carnée dans les pays émergents et enfin la spéculation financière).
Nous allons probablement connaître à nouveau, dans les mois à venir, des émeutes de la faim rappelant celles de 2008 ou celles qui ont précédé les printemps arabes.
Pourtant ces manifestations du dérèglement climatique en cours et toutes les autres comme la fonte spectaculaire de la banquise artique ou la montée des océans ne sont causées que par les 0,7 à 0,8°C de réchauffement de la température moyenne du globe causés depuis un siècle par le modèle économique issu de la révolution industrielle et du productivisme capitaliste.
Or, les scientifiques nous disent qu'avec la continuation actuelle de ce modèle, nous fonçons droit vers les +4°C à +6°C d'ici 2100.
On pourrait franchir le seuil -irréversiblede l'emballement climatique dès 2050, quand les enfants nés aujourd'hui n'auront pas 40 ans.
Nous ne parlons pas ici des 5°C de plus qu'il peut faire à nos fenêtres, mais bien d'une augmentation de +5°C de la température moyenne du globe.
Elle est aujourd'hui d'environ 15°C, et est passée du stade de la glaciation au climat actuel grâce à une augmentation de 5°C à peine, qui s'est produite en 10 000 ans et non pas en 100 ans, période ne laissant aucune possibilité d'adaptation aux sociétés humaines et aux éco-systèmes.
Les scientifiques nous disent qu'il est encore possible d'éviter le pire, en changeant radicalement dans la décennie qui vient la courbe de nos émissions de gaz à effet de serre, aujourd'hui en croissance constante et intrinséquement liée à notre modèle de production, de consommation, d'aménagement du territoire, de transport, d'agriculture intensive, d'économie délocalisée, etc.
LGV, l'amie du climat ?
Une de nos priorités, si nous voulons éviter le basculement climatique annoncé par les scientifiques, qui compromettrait gravement -et à brève échéance- les conditions de vie civilisées sur terre, est donc de réduire les gaz à effet de serre.
Les économies d’émissions de gaz à effet de serre que permet le train par rapport à l’avion, la voiture et le camion sont présentées comme un argument majeur en faveur de la voie nouvelle LGV, par les partisans de cette dernière en Aquitaine. Cette hypothèse est battue en brèche sur un plan technique, avec des arguments pointus, dans le dossier EPINE. Il s'agit d'une somme impressionante de démonstrations détaillées de l'inutilité et de l'aspect néfaste de la voie nouvelle Bordeaux-Hendaye réalisée par ses opposants, qu'il faut absolument consulter en allant sur http://epine.urrugne.info.
Il y est notamment démontré que les émissions évitées par le report modal attendu grâce à la voie nouvelle LGV Bordeaux- Hendaye ne compenseront pas la «dette» initiale en termes d'émissions carbone de construction de cette même voie nouvelle.
Ce que la LGV ralentit
Sans rentrer ici dans une telle argumentation longue et détaillée, je voudrais aujourdhui la compléter par une courte réflexion plus générale.
Le nucléaire a dans l'absolu un bon bilan en gaz à effet de serre par rapport à d'autres manières traditionnelles de produire l'électricité (ce qui n'évacue pas le débat sur sa dangerosité potentielle, sur la question des déchets et sur son logiciel centraliste et sécuritaire).
Mais quel serait le vrai bilan de gaz à effet de serre si l'argent investi lors de ces dernières décennies dans le développement de la filière nucléaire l'avait été dans une politique radicale d'économie d'énergie, d'efficacité énergétique, de développement d'énergies renouvelables et de transitions diverses au niveau de l'agriculture, de l'aménagement urbain, des transports, etc.? De toutes évidence et selon tous les travaux sérieux (scénario Negawatt, par exemple) il aurait été incomparablement meilleur.
La même question se pose dans le cas de la LGV.
Arrêtons de parler dans l'absolu et demandons-nous quel serait le bilan de l’effet de serre global si les énormes sommes d'argent que certains veulent investir dans cette création de voie nouvelle l'étaient dans un meilleur entretien des lignes de proximité actuelles, dans le développement de l'offre de trains de proximité, de réhabilitation d'anciennes lignes (comme celle du soufre à Bayonne), de développement du fret ferroviaire au lieu de le démanteler comme on le fait actuellement, de multiplication des voies de bus en site propre, de parkings relais, de navettes, de transports à la demande, de système organisés de covoiturage et d'auto-partage, de construction de pistes cyclables supplémentaires, non pas pour le vélo de loisir mais pour les déplacements quotidiens, utilitaires?
Quel bilan carbone auraient permis les dizaines de millions d'euros déjà versés par le Conseil Général des Pyrénées-Atlantiques, la Région d'Aquitaine, certaines communautés de communes du Pays Basque pour financer... le tronçon Tours-Bordeaux s'ils avaient été investis dans les alternatives de proximité au tout voiture ? Rappelons ici le taux record de l'agglomération Bayonnaise dont 40% des émissions de gaz à effet de serre est causée par le transport routier, tellement la voiture individuelle est la seule possibilité actuelle de déplacement -ou en tout cas la plus pratique- pour la majorité de ses habitants.
Avant de dépenser des milliards pour anticiper une hypothètique saturation des voies ferrées à l'horizon 2030-2035, ne ferait-on pas mieux de les consacrer à résoudre l'actuelle et bien réelle saturation routière des années 2012-2020?
Bref, la très grande vitesse pour "l'élite de nos sociétés" a pour résultat de... ralentir la mise en place des alternatives au tout voiture pour la majorité de la population!
LGV, toujours plus vite...dans le mur!
Enfin, quel crédit apporter à ceux-là mêmes qui expliquent que la LGV aura pour but de supplanter l'avion ou le fret routier ? On pourrait écouter avec d'avantage d'intérêt ces déclarations de bonnes intentions s'ils commençaient dès aujourd'hui par arrêter de voter des subventions au transport aérien (non taxation du kérosène, aides au low-coast...), de démanteler le fret ferroviaire (suppression des wagons isolés, des gares de tri, etc.) ou de délocaliser l'économie et la société.
On ne voit aujourd'hui aucune vision de la LGV Aquitaine comme alternative à l'avion ou au camion.
Elle n'apparait que comme un "plus" qui va s'ajouter au reste, qui va aggraver la délocalisation de nos sociétés et de nos économies.
Elle n'est qu'un de ces "plus", réservé à une minorité de la population pour lui réduire la notion de distance et donc rendre banals et fréquents des déplacements qui devraient être exceptionnels et rares, avec tous les dommages collatéraux en termes d'aménagement du territoire, de grandes métropoles et de régions-dortoirs.
Elle n'apparait que comme un «plus» dans la course au «toujours plus vite, plus souvent et plus loin», celle-là même qui nous mène tout droit au précipice.
Et au lieu de freiner ou de stopper, on nous demande aujourd'hui d'accélerer, comme M. Emmanuelli qui veut faire de l'Aquitaine la «Californie de l'Europe». Il arrivera surtout à léguer à ses enfants et petits-enfants la Louisianne post-Katrina.
Nous nous donnons rendez-vous le samedi 27 octobre à 15h00 à Bayonne pour refuser cet avenir là!