Derrière les gilets jaunes

2018/12/11
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Ces dernières semaines, l’actualité a été marquée par l’épisode dit des “gilets jaunes”, dont je dois avouer qu’il me laisse un arrière-goût désagréable dans la bouche, tant il me paraît en grande partie révélateur d’une tendance à l’individualisme d’une part et à la simplification d’autre part. La dynamique des gilets jaunes, comme toute dynamique d’origine populaire –je n’ose dire “citoyenne” et à mes yeux cette connotation est importante–, est difficile à interpréter au plan sociologique sans un minimum de recul en particulier dans le temps, surtout quand on n’est pas soi-même sociologue

Peio Etcheverry-Ainchart, publié dans Enbata

On pourra évoquer le maquis des doléances ou des revendications, la diversité des motivations, l’existence réelle ou supposée de manipulations partisanes, il reste que le fond de cette dynamique reste une opposition à la hausse des taxes sur les carburants. En soi, je dois avouer que comme tout un chacun je préfère débourser le moins possible en contributions, qu’en outre je suis parfaitement prêt à me mettre à la place de tous ces gens à faible revenu et donc à entendre leur bien réel désarroi.

Là réside à mon sens la plus grande faute de ce gouvernement et de ceux qui l’ont précédé dans la gestion de la fiscalité énergétique : à trop vouloir utiliser l’outil fiscal indirect –la taxe, identique pour le millionnaire comme pour le smicard– sans au préalable assurer de véritables solutions alternatives et écologiquement vertueuses au tout-voiture, de telles hausses sont inévitablement et légitimement vécues comme des injustices.

Il est injuste de hausser les taxes sur les carburants tant qu’on n’a pas d’abord, par exemple, offert à tout le monde la possibilité d’emprunter des transports collectifs propres, économiquement abordables voire gratuits

Oui, il est injuste de hausser les taxes sur les carburants tant qu’on n’a pas d’abord, par exemple, offert à tout le monde la possibilité d’emprunter des transports collectifs propres, économiquement abordables voire gratuits, et à rotations permettant de répondre aux principaux besoins de la vie quotidienne. Ces transports-là sont chers, mais ils sont nécessaires aux plans écologique comme social ; et une fois mis en place, à mon avis ils justifient bel et bien une fiscalisation forte des carburants polluants.

C’est comme les impôts en général : s’ils étaient socialement justes et bien utilisés, moi je serais très heureux d’en payer. Le problème avec les gilets jaunes, c’est qu’à quelques exceptions près on n’entend que peu d’entre eux porter un discours écologiquement vertueux ; la plupart ne se mobilisent que parce qu’on leur fait payer plus cher leur essence.

Il faudra un jour que j’aie le réflexe de prendre une photo de la rame de train dans laquelle je monte le matin en gare de Saint-Jean-de-Luz, et que je la mette sur un réseau social pour montrer combien d’usagers elle transporte : ils se comptent sur les doigts d’une seule main du baron Empain.

Sans controverse sur la taxation des carburants, combien d’entre eux mettraient un gilet vert pour manifester en faveur de transports collectifs propres ? Combien, parmi ceux qui vivent dans des zones urbaines ou périurbaines bien desservies par des transports en commun les utilisent effectivement ? Moi qui suis abonné TER, il faudra un jour que j’aie le réflexe de prendre une photo de la rame de train dans laquelle je monte le matin en gare de Saint-Jean-de-Luz, et que je la mette sur un réseau social pour montrer combien d’usagers elle transporte : ils se comptent sur les doigts d’une seule main du baron Empain. Certes, Dieu sait que la région Aquitaine fait tout pour décourager les gens d’utiliser son réseau ferré ; mais enfin, même quand l’offre se fait aussi défaillante la demande pourrait mieux servir d’aiguillon.

Jaune ou vert, blanc ou noir…

C’est la raison pour laquelle, si je ne soutiens pas le gouvernement, je n’en mettrai pas davantage de gilet jaune : dans cette époque misérable, on ne sait plus réfléchir, critiquer, proposer, voire descendre dans la rue que de manière manichéenne, sur le mode du tout-bien ou tout-mal.

Oui, il est injuste de taxer le diesel lorsqu’aucun autre choix de déplacement efficient n’est offert ; mais non, on ne peut pas être contre le principe lui-même de la taxation du diesel –comme de tout autre carburant “sale” d’ailleurs– à l’heure de l’urgence climatique.

Oui, il est injuste de nous demander à tous de renoncer du jour au lendemain à des modes de vie qu’on nous a présentés depuis un siècle comme la quintessence du progrès et qui nous ont littéralement conditionnés; mais non, il n’est pas possible de laisser penser qu’on permettra à nos enfants de vivre dignement sur Terre demain sans rien changer aujourd’hui et en laissant penser qu’on pourra continuer à polluer pas cher.

L’avenir ne sera pas seulement d’un vert écologiste ou d’un rouge social, il devra être les deux à la fois. Mais encore faut-il pour cela ne pas percevoir ces enjeux de manière réductrice et individualiste.

Qu’on appelle ça du “en même temps”, des “faces d’une même médaille” ou je ne sais quoi d’autre, chaque problématique se doit d’être abordée dans toutes ses dimensions, et pas seulement à la seule aune de la gêne qu’elle nous procure. Cela vaut pour l’écologie comme pour l’économie, pour le logement comme pour la question des migrations. Et aussi pour des thématiques abertzale, telles que l’euskara ; il doit pouvoir être possible d’être défenseur de sa langue et en même temps de chercher dans une chronique d’Enbata à attirer l’attention sur de possibles dérives ; comme il doit être aussi possible de reconnaître le droit parfaitement légitime d’un maire à exclure un membre de son groupe devenu ostensiblement son opposant, tout en n’évacuant pas d’un revers de main un questionnement –malheureusement abaissé au rang d’alibi commode par ledit opposant mais pas moins importante par principe– lié à la place de l’euskara dans la vie municipale.

Vert et rouge

Il est carrément nécessaire de ne pas s’enfermer dans des logiques univoques et simplistes qui non seulement sont inefficaces mais font potentiellement le lit des populismes.

Je m’excuse auprès des lecteurs d’avoir ainsi utilisé quelques lignes de cet espace d’expression pour ces petites mises au point quelque-peu personnelles. Mais outre la difficulté de savoir toujours jauger ce qu’il est bon ou moins bon de dire publiquement –et l’erreur est heureusement humaine–, il me paraît utile de parfois chercher à rompre le caractère par trop sacro-saint de certains principes politiques, surtout quand il peut porter préjudice à leur pénétration dans la société.

Et puis, plus qu’utile, il est carrément nécessaire de ne pas s’enfermer dans des logiques univoques et simplistes qui non seulement sont inefficaces mais font potentiellement le lit des populismes.

A cet égard je suis fier d’appartenir à un mouvement politique tel qu’EH Bai qui a su éviter de flatter certains bas instincts ambiants révélés durant l’épisode des gilets jaunes –je ne parle pas des gens modestes dont la colère est compréhensible, mais de certains bien réels poujadistes.

Tous les partis en France n’en ont pas fait autant, au risque d’alimenter une fausse opposition entre justice écologique et justice sociale.

L’avenir ne sera pas seulement d’un vert écologiste ou d’un rouge social, il devra être les deux à la fois. Mais encore faut-il pour cela ne pas percevoir ces enjeux de manière réductrice et individualiste.