Vivre et se loger au Pays (I)

2021/02/18
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Pour un jeune Basque des années 2020, le paradigme a changé : il n’est pas plus exposé au risque du chômage que la grande majorité de la jeunesse du reste de l’Hexagone, loin de là. Mais ce n’est pas pour autant qu’il a aujourd’hui les moyens et la garantie de pouvoir continuer à vivre au Pays. L’explosion des prix du foncier et l’envolée des loyers compromettent gravement son droit à pouvoir vivre sur le territoire qui l’a vu naître. Et cela ne concerne pas seulement la jeunesse, mais également les gens subissant des pertes de revenus, pour cause de départ à la retraite, de licenciement, de divorce, d’accidents de la vie en tout genre, etc. Il y a tout à parier que les années à venir voient les murs d’Iparralde se couvrir d’un autre slogan “Vivre et se loger au Pays !” “Herrian bizi eta aloitu!”.

Txetx Etcheverry, membre de la fondation Manu Robles Arangiz. Article publié sur Enbata.

Quand j’ai commencé à militer à la fin des années 70, un slogan couvrait certains murs d’Iparralde : “Herrian lan eta bizi!” Vivre et travailler au Pays, tel était le leitmotiv de ceux qui voulaient alors combattre l’exode des jeunes partant chercher un emploi ailleurs. Les stratégies en découlant furent l’investissement du terrain économique, la création des coopératives, la défense de l’agriculture paysanne, l’orientation d’une partie de l’épargne locale vers la création et le développement des entreprises du territoire, la lutte contre le tout tourisme, le travail pour le développement de filières universitaires locales, etc. Pour un jeune Basque des années 2020, le paradigme a changé : il n’est pas plus exposé au risque du chômage que la grande majorité de la jeunesse du reste de l’Hexagone, loin de là. Mais ce n’est pas pour autant qu’il a aujourd’hui les moyens et la garantie de pouvoir continuer à vivre au Pays. L’explosion des prix du foncier et l’envolée des loyers compromettent gravement son droit à pouvoir vivre sur le territoire qui l’a vu naître. Et cela ne concerne pas seulement la jeunesse, mais également les gens subissant des pertes de revenus, pour cause de départ à la retraite, de licenciement, de divorce, d’accidents de la vie en tout genre, etc. Il y a tout à parier que les années à venir voient les murs d’Iparralde se couvrir d’un autre slogan “Vivre et se loger au Pays !” “Herrian bizi eta aloitu!”.

Spirale infernale

La Côte basque, minuscule en Iparralde, est l’objet d’une pression foncière exponentielle, qui déborde désormais sur tout le rétro-littoral, entre la Côte et l’intérieur. Le foncier y devient rare, et la demande, notamment alimentée par la fameuse “attractivité” du territoire(1) est sans cesse grandissante. Du coup, les constructions ont beau se multiplier, cela ne diminue pas le prix du m² ou des loyers. On peut même se demander si cela n’a pas comme seul effet d’accroître la demande et du coup de surenchérir au final les prix qu’on voudrait faire baisser en augmentant l’offre. Les prix des logements ont en effet grimpé de 20% entre 2015 et 2018, alors que cette période suivait un pic de la production de logements (de 2.800 à 3.000 par an pour une population de 303.000 habitants à la même époque). L’attachement culturel à la maison individuelle, la multiplication des divorces, un taux de résidences secondaires deux fois supérieur à la moyenne française et aquitaine, les locations saisonnières et désormais le phénomène des plateformes internet de location touristique de type Airbnb qui ont crû de 30% entre 2017 et 2020, viennent considérablement aggraver le problème. Résultat : le prix moyen d’achat du m2 en Iparralde était de 4.300 euros en 2018 et n’a cessé de monter depuis. Le loyer moyen dans le parc locatif privé est de 651 euros sur la bande littorale basque élargie à l’intérieur jusqu’à Labastide-Clairence, Cambo, Espelette, plus Saint-Palais, Mauléon et Saint-Jean-Pied-de-Port, soit une zone de 84 communes (étude Audap de décembre 2020). Il monte à 725 euros sur les communes du littoral hors Bayonne et Anglet et du rétro-littoral (bande incluant Ustaritz ou Saint- Pée-sur-Nivelle). Rappelons ici que le Smic mensuel net est de 1.230,61 euros et donc que le loyer moyen sur le littoral basque coûte 59% d’un Smic net! Il y a deux ans d’attente pour obtenir un logement social (Sud-Ouest du 23-01-2021) et 70% de la population d’Iparralde y est éligible, alors que la plupart des communes n’atteignent même pas les 25% de logements sociaux exigés par la loi SRU pour l’horizon 2025. Il peut y avoir 50 à 60 demandes pour un T2 ou un T3 à la location et si l’on veut l’avoir, il vaut donc mieux réagir dans l’heure suivant la parution de l’annonce. Encore faut-il, pour que sa demande soit sérieusement examinée, fournir à l’agence ou au propriétaire la preuve qu’on a un CDI, qu’on touche deux à trois fois l’équivalent du loyer, pouvoir payer deux mois de garantie et avoir en plus des personnes se portant garantes ! Autant dire que tout cela commence à laisser pas mal de monde au bord du chemin…

Volonté affichée du président de la CAPB

Face à un problème d’une telle ampleur et d’un tel impact sur la vie même des gens, il est indispensable que les pouvoirs publics agissent de tout leur poids pour contrer les tendances mortifères de la “main invisible du marché”. Le président de la CAPB et maire de Bayonne, Jean-René Etchegaray, contrairement à son concurrent malheureux Henri Etcheto, a au moins le mérite d’avoir compris que les réponses à cette crise du logement passaient par des outils inter-communautaires, à l’échelle du Pays Basque nord. Le président de la Communauté Pays Basque va plus loin dans une interview au journal Sud-Ouest du 23 janvier, en plaidant clairement pour un encadrement des loyers. “On a une telle rareté du foncier que les prix de cession ne cessent d’augmenter et avec eux, ceux de la location. On va arriver dans une situation où les gens ne pourront plus acheter ni louer. Dans notre secteur, 80% de la production de logements ne s’adressent pas à notre population. Elle n’en a pas les moyens. La production est plutôt tournée vers des acheteurs extérieurs. Si on laisse les choses se faire selon la loi de l’offre et de la demande, nous aurons avec la location les déboires que nous connaissons avec l’accession à la propriété. On ne pourra pas se passer de l’encadrement des loyers. La loi Elan n’est pas allée au bout des choses. Nous avons 24 communes officiellement en zone tendue, mais l’Agglomération ne peut pas prétendre à l’encadrement des loyers pour une raison incongrue. La loi fixait quatre critères pour en bénéficier. Nous ne satisfaisions pas à l’un d’eux, car nous avons un volume de production de logements trop important ! C’est pour le moins paradoxal. Il faut faire évoluer la loi (…) l’encadrement des loyers ne suffira pas. Je pense notamment aux locations saisonnières qui perturbent les marchés de l’accession comme du locatif(…).”

Mettre le PLH en phase avec les discours volontaristes

Mais on ne peut se contenter d’attendre de nouveaux outils législatifs, dont on ne sait pas s’ils verront le jour et encore moins à quel horizon. Au vu de l’importance et de l’urgence du problème, il faut activer tous les outils existant à notre portée pour en limiter l’impact sur notre territoire et sur notre population. Justement, montrant tout l’intérêt qu’il y avait à créer une communauté d’agglomération englobant tout Iparralde, pour la première fois, un Plan local de l’Habitat est élaboré à l’échelle de l’ensemble du Pays Basque nord, dressant un diagnostic global du problème du foncier et du logement sur notre territoire et fixant un certain nombre d’objectifs stratégiques avec lesquels nous ne pouvons qu’être d’accord, dont celui de “développer une offre davantage maîtrisée en volume et en qualité, financièrement plus accessible pour les ménages locaux, confortant les centralités, et mieux répartie notamment pour accompagner le développement du Pays Basque intérieur dans sa diversité”.

Pourtant, l’un des meilleurs spécialistes d’Iparralde de ces questions, Peio Etcheverry-Aintchart, se montrait dans ces mêmes colonnes d’Enbata, particulièrement sceptique sur le fait que les orientations opérationnelles et les actions proposées par le PLH soumis à l’avis des conseils municipaux d’Iparralde, permettent de remplir cet objectif stratégique : “Dans le contexte actuel, laisser ce projet, puis les SCOT et autres PLUi qui seront forcément à l’avenant, serait une irresponsabilité sociale et environnementale, et serait fuir ce qui me paraît être aujourd’hui la mère des batailles en termes d’aménagement du territoire.”

Acte politique fort de Saint-Pierre-d’Irube

Contrairement à la majorité des conseils municipaux qui se sont exprimés jusqu’à aujourd’hui pour approuver le PLH, parfois avec certaines réserves ou préconisations ; le conseil municipal de Saint-Pierre-d’Irube a lui, sur proposition de son maire Alain Iriart, émis un avis défavorable sur le PLH proposé, assorti d’un scénario alternatif.

Enbata a décidé de publier cette délibération municipale particulièrement pédagogique et pertinente (dans sa version papier, disponible dans les maisons de la presse). Elle alerte sur le fait que la production prévue de 2.656 logements par an ne répondra qu’à hauteur de 29% aux besoins des ménages locaux et que les résidences secondaires constitueront 32% des constructions de logements neufs. Elle propose notamment de rabaisser l’objectif de construction neuves à 2.000 logements par an ; de porter la part de logement accessible et solidaire (location et accession sociale) à hauteur de 55 à 60% du volume global de logements neufs (au lieu de 45%) ; de diviser par cinq le nombre de résidences secondaires prévues par an (178 au lieu de 892) ; de rénover les logements vacants ou anciens en réorientant les aides financières sous condition de location en résidence principale, avec un objectif de 1.400 à 1.500 logements par an…

Cet avis de Saint-Pierre-d’Irube est un acte politique fort, volontariste, qui ne peut qu’alimenter dans le bon sens le débat devant permettre de rehausser très fortement l’ambition du PLH — et par voie de conséquence de conditionner dans le bon sens les autres documents qui l’accompagnent (PCAET, PDU) ou le compléteront (SCOT, PLUi).

Cette demande d’un PLH bien plus volontariste doit, à mon sens, être appuyée par l’ensemble des mouvements sociaux et écologiques d’Iparralde.

Le scénario alternatif qu’il propose ne répond pas pour autant, lui non plus, à toutes les questions posées par l’actuelle crise du foncier et du logement. Je pense notamment au problème des locations saisonnières et des effets pervers du système Airbnb, et surtout à l’encadrement indispensable et total de l’accession sociale à la propriété, par des mécanismes de type BRS (bail réel solidaire) ou bail à long terme, comme l’évoque Alain Iriart lui même dans l’interview qu’il donne à Enbata (à découvrir dès aujourd’hui dans la version papier).

Sans cela, nous construirons nos réponses sur du sable et au bout des dix ans prévus par la loi ELAN, les logements sociaux, financés avec l’argent public, iront rejoindre le marché normal et alimenter la spéculation immobilière et empirer le problème.

Quelle stratégie sur le foncier et le logement ?

Le PLH le plus volontariste ne suffira pas à lui seul à résoudre la crise actuelle et à venir du foncier et du logement en Iparralde.

Quels moyens réels a-t-il par exemple pour concrétiser un objectif opérationnel, tel que celui de la division par cinq du nombre prévu de constructions de résidences secondaires ?

Sur ce terrain plus que jamais, il nous faut penser une articulation entre travail institutionnel et lutte de masse, rôle des mouvements sociaux et de la mobilisation populaire. Il nous faut penser et construire une véritable stratégie, où chaque acteur, chaque mouvement puisse trouver sa place, son rôle spécifique et complémentaire, et que tous ensemble, nous puissions peser réellement sur le cours des choses, nous puissions desserrer la pression foncière et immobilière qui compromet notre possibilité même de vivre en Euskal Herri.

Nous devons mettre en place, au plus vite, les stratégies efficaces et gagnantes qui nous permettent tout simplement de vivre et se loger au Pays.

J’essaierai dans ma prochaine chronique de poursuivre cette réflexion et de formuler des propositions concrètes dans une telle perspective.

(1) “Attractivité” que certains rêvent toujours d’accentuer avec leur phantasme de voie nouvelle LGV Bordeaux- Hendaye.