Au Pays basque espagnol, la mue du syndicat ELA
, cet article a été publié dans Le Monde.
Transformer de manière radicale le modèle productif pour faire face à l’urgence climatique. Dès son point 2 (sur trente-six), dans la résolution d’orientation qui sera votée parles 750 délégués de son prochain congrès, lequel se tiendra à Bilbao, les 24 et 25 novembre, le syndicat Euskal Langileen Alkartasuna (Solidarité des travailleurs et travailleuses basques ELA) aborde la question de la transition écologique.
C’est donc une priorité pour le syndicat basque, qui avance « la nécessité d’un changement de système de production, de distribution et de consommation permettant de répondre à la nécessité de faire décroître l’utilisation des ressources ». Cette mue du syndicat en faveur d’une « transformation sociale, écologiste, démocratique et féministe » ne date pas d’hier. Elle n’est pas anodine pour ELA, qui est le premier syndicat du Pays basque, avec 36,08 % des délégués, devant les Commissions ouvrières (19,95 %), LAB (Langile Abertzaleen Batzordeak, Comité des travailleurs patriotes basques), autre syndicat appartenant à la mouvance nationaliste(19,29 %), et l’Union générale des travailleurs (réputée proche du Parti socialiste ouvrier espagnol, le PSOE), à 14,17 %... ELA revendiquait 100 925 militants à jour de cotisation en août 2021, un nombre appréciable rapporté au million de travailleurs que compte le Pays basque. Dans cette région, marquée par son passé minier, sidérurgique et naval, et où l’industrie (énergie, transports...) reste importante, ELA ne semble pas souffrir de son engagement écologique. « Il est difficile de savoir si notre positionnement écologiste nous apporte des voix ou nous en fait perdre,souligne Mitxel Lakuntza, l’actuel secrétaire général, âgé de 45 ans – et candidat à un nouveau mandat. Mais nous ne pouvons pas proposer notre projet de société aux travailleurs sans intégrer cette question essentielle.»
« Moyens de reconversion»
Pour autant, la question environnementale n’est pas toujours l’élément principal mis en avant par le syndicat. Mercredi 20 octobre, à la sortie de l’entreprise ATP Aero (1 200 salariés), qui fabrique des turbines pour les moteurs d’avion Rolls-Royce, à proximité de l’aéroport de Bilbao, Mickael Carrero, 46 ans, assure que c’est à l’entreprise de penser la mutation du secteur.
«Ce n’est pas au syndicat de le faire. Lui doit se concentrer sur nos conditions de travail». Gaizka Aldazabal, délégué syndical ELA – qui compte onze des vingt-trois délégués de l’entreprise –, le confirme. « Il y a des licenciements, et ce que les travailleurs attendent de nous, c’est qu’on les défende. Et ELA apparaît comme le syndicat indépendant, intègre et proposant une critique globale du système », affirme ce syndicaliste de 42 ans. Dans ces conditions, comment expliquer aux salariés de secteurs industriels polluants ou fortement émetteurs de dioxyde de carbone que cette transition écologique est nécessaire, même si,en définitive, elle risque de menacer leurs emplois ? « La question, c’est de pouvoir dire à des secteurs qui vont disparaître quels seront les moyens de reconversion, quels seront les nouveaux emplois qui vont être créés », affirme Amaia Muñoa, la secrétaire générale adjointe, âgée de 47 ans. Et de préciser qu’ELA prépare, « entreprise par entreprise », le recensement des postes en péril, le potentiel de nouveaux emplois et les nécessités de formation professionnelle.
Projet de société global
Pour Ignacio Messina Iglesias, spécialiste du lien entre syndicalisme et écologie, « il est difficile de construire un syndicat à vocation majoritaire sans penser d’abord à la fin du mois pour les salariés ». Toutefois, estime ce chercheur de l’université de Buenos Aires, le syndicat basque a intégré la crise climatique comme partie de celle du système économique, « et la critique du développement capitaliste est parfaitement assumée chez ELA ».Né en 1911, d’inspiration chrétienne et proche du Parti nationaliste basque, démocrate-chrétien, – majoritaire actuellement au Parlement basque au sein d’une alliance avec le PSOE –, ELA s’est radicalisé au cours de son histoire. Il avance aujourd’hui un projet de société global, revendiquant même, pour la première fois, la création d’une « république [basque] souveraine et indépendante » issue d’un mouvement d’« émancipation national et de classe ».Au lendemain de la période de clandestinité (touchant tous les syndicats) qui a prévalu durant les quarante ans de la dictature franquiste, et avec l’arrivée d’une génération militante tournant l’organisation vers le marxisme et le mouvement de la gauche patriote(Abertzale) dès le milieu des années 1970, puis le développement de l’altermondialisme dans les années 1990, les questions écologistes ont rapidement nourri la matrice syndicale.Avec l’aide d’experts, ELA a produit de la documentation sur les énergies renouvelables (en 1996), l’aménagement du territoire ou encore le problème de l’eau. En2005, le syndicat a mené une campagne « Aller au travail sans voiture ». Il a également soutenu des luttes locales contre divers projets comme l’extension d’un port à côté de Saint-Sébastien et le centre intermodal de Vitoria... Aujourd’hui, il fait de l’opposition au projet de ligne à grande vitesse du Pays basque – 175 kilomètres dessinant un « Y » reliant Irun, Bilbao et Vitoria – un point fort de son activité ; il juge ce projet trop coûteux pour les finances publiques et il n’a, à ses yeux, que peu d’utilité sociale et économique,mais des effets très négatifs sur l’environnement.