Vivre et se loger au Pays (II)

2021/04/30
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La crise du logemente a quatre dimensions principales, qui peuvent mobiliser autant de secteurs différents de la population d’Iparralde : la Démocratique, politique et identitaire, la Sociale, l'Environnementale et climatique, eta l'Agricole et alimentaire.

Txetx Etcheverry, Manu Robles Arangiz fundazioko kidea. Artikulua Enbatan argitaratua.

L’analyse de la crise du logement et du foncier nous amène à tirer les enseignements suivants :

I) Les 4 dimensions importantes de cette crise

Cette question essentielle a quatre dimensions principales, qui peuvent mobiliser autant de secteurs différents de la population d’Iparralde :

Démocratique, politique et identitaire : le fait que le nombre de résidences secondaires puisse constituer jusqu’à 40 % et plus des habitations de certaines communes du littoral Basque pose en effet un véritable problème de contrôle démocratique de leur destinée par leurs habitants. L’identité même du Pays Basque nord est en jeu si les classes populaires et moyennes locales, qu’elles soient composées de gens nés ici ou ailleurs, ne peuvent plus s’y loger à terme, du fait de prix leur devenant inaccessibles.

Sociale : se résigner à la construction de 20 000 résidences secondaires supplémentaires en Pays Basque nord entérine la primauté du droit d’avoir deux logements avant celui d’en avoir un. La nature même de biens communs caractérisant la terre et le logement plaide pour leur gestion publique ou collective, protectrice des moins riches et des moins puissants.

Environnementale et climatique : laisser la loi de l’offre et la demande, la fameuse main invisible du marché régir la question du foncier et du logement est lourd de conséquences sur le plan écologique. L’augmentation du nombre global de constructions, et son étalement sur le rétro-littoral et le Pays Basque intérieur va accroître l’artificialisation des sols, l’extension des réseaux (énergétiques, routiers etc.) et le développement d’une mobilité pendulaire (trajets quotidiens domiciles-travail ou école) déjà insoutenable en Iparralde. Le poids des maisons particulières, des locations saisonnières et des résidences secondaires viendra aggraver le sur-dimensionnement des équipements et aménagements collectifs.

Agricole et alimentaire : la croissance sans fin des nouvelles constructions de logement et d’infrastructures menace le foncier agricole et son accessibilité. Cela conditionne bien évidemment nos possibilités réelles de reconquérir demain notre souveraineté alimentaire. Si l’on renverse la perspective, c’est la capacité de notre territoire de nourrir sa population, dans une logique de relocalisation des productions et de souveraineté alimentaire, et pas la main invisible du marché immobilier, qui devrait guider les politiques publiques en matière d’estimation d’un nombre d’habitant.es que l’on peut prévoir d’accueillir dans les trente prochaines années !

II) Les 3 principaux niveaux d’intervention

La réponse à cette crise du logement et du foncier nous offre trois principaux niveaux d’intervention, avec pour chacun d’entre eux des acteurs et des possibilités différentes d’alliances et d’actions :

Les communes et la CAPB, qui ont dans leur mains des outils structurants et des possibilités réelles d’intervention sur ces questions (PLH, PLUi, SCOT, EPFL, service d’acquisition foncière, préemption, expropriation, procédure des « biens sans maîtres », densification de l’habitat, production logement social, conditions d’accès à la propriété sociale et gestion Office HLM HSA, politiques de rénovation et de réhabilitation, surtaxe résidences secondaires etc.). C’est là un des principaux terrains où se jouent les batailles du foncier et du logement actuellement et dans les années à venir. C’est dire l’importance du rôle des élus communaux et intercommunaux, des techniciens, des programmes et propositions politiques à ce niveaux. La réflexion des élus, et particulièrement celles et ceux d’EH Bai particulièrement en pointe à ce niveau, les propositions des différents partis, le travail et les contributions du Conseil de Développement du Pays Basque ou d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara, et le travail de plaidoyer et d’interpellation de divers acteurs sociaux (Atherbea, Pacte de métamorphose écologique de Bizi, Lurzaindia, ELB etc.) sont déterminants à ce niveau.

Le domaine législatif : tout le monde constate l’insuffisance de l’arsenal législatif actuel pour faire face à l’ampleur actuelle de la hausse des loyers et du prix du foncier dans des zones tendues comme la nôtre. La surtaxe sur les résidences secondaires, même portée à son maximum légal, ne suffit pas à les faire revenir sur le marché locatif. Il manque des outils en matière d’encadrement des loyers ; d’obligation à remettre sur le marché locatif des logements vacants ; de contrôle et d’encadrement des locations saisonnières et des plateformes de location internet ; de type de propriété du foncier ; de manières de financer la création et la réhabilitation de logement. Il faut donc faire évoluer rapidement la loi pour répondre à ce défi majeur pas seulement en Iparralde mais sur une bonne partie du territoire hexagonal (façades maritimes, grandes villes etc.). Les acteurs et alliances possibles ne manquent pas pour ce niveau d’intervention.

La mobilisation populaire :

Peser de toutes nos forces de ce côté-là du balancier de la décision politique devient d’autant plus urgent et essentiel que les effets sociologiques de cette dérive du foncier et du logement pèsent et pèseront politiquement de plus en plus lourdement de l’autre côté du même balancier. Plus les prix montent et sélectionnent des habitants fortunés, et plus les maires seront tenus par un électorat issu des classes sociales aisées. Ces dernières seront bien entendu moins enclines à favoriser des politiques progressistes, solidaires, une part importante de logement social dans la commune etc.

Mais l’objectif est également de produire des actions et des résultats directs sur l’évolution de la question foncière et immobilière en Iparralde. Face à la main invisible du marché ; il nous faut activer le bras de fer de la mobilisation populaire.

III) La résistance civile et les alternatives concrètes

Du pain sur la planche

Plusieurs éléments et conditions devront être réunis pour réussir à faire monter la mayonnaise de la mobilisation populaire.

a) Avoir un diagnostic partagé du problème et des propositions crédibles pour le résoudre : le travail réalisé toutes ces dernières années par de multiples structures ou acteurs locaux (Commission logement d’AB puis d’EH Bai, Conseil de développement du Pays Basque, EHLG, Audap et son observatoire des loyers etc.) en pose de nombreuses bases précieuses. Un Forum pourrait réunir les différents mouvements et organisations abordant les questions du foncier et du logement via différentes portes d’entrée : politique, sociale, écologique, agricole…. Il permettrait de partager un état des lieux et des objectifs communs. Il éviterait de poser des diagnostic erronés, pouvant être porteurs de dérives idéologiques et politiques (concept de colonisation de peuplement voire approches virant à la xénophobie) et du coup de stratégies inefficaces et perdantes (chercher LA solution magique un problème aussi complexe et multi-causal, céder à la tentation de stratégies du passé aujourd’hui inopérantes etc.).

b) Faire prendre conscience à la population des causes et de la nature réelle du problème, qu’elle ressent depuis longtemps déjà, et des solutions qui en découlent : il faut imaginer des campagnes et initiatives massives pour consulter la population sur cette crise du foncier et du logement, lui donnant la parole et l’incitant à s’emparer de cette question. Il faudra faire un travail de pédagogie de masse, en n’ayant pas peur d’expliquer un certain nombre de choses pas toujours les plus populaires (impact lourd des tendances actuelles à la décohabitation et solutions à y apporter, problème posé par le mythe de l’« etxe individuelle » dans l’imaginaire basque, besoin de densification par du logement collectif, nécessité de l’encadrement systématique de l’accession à la propriété sociale etc.).

c) Socialiser le problème, le faire descendre du débat entre « élites conscientes » (élus, techniciens, militant.es politiques et sociaux) jusque dans la rue, en fixant longtemps à l’avance une manifestation massive, dont la campagne d’appel, qui durerait des mois, aura pour rôle d’enraciner la dynamique de mobilisation dans chaque canton, commune, quartier. La campagne pour le département Pays Basque de 1999, qui avait donné le jour à l’Appel du 9 octobre puis à la plateforme Batera pourrait largement nous inspirer au moment de penser les formes et le calendrier devant charpenter une dynamique de masse sur la question du logement et du foncier. Une telle manifestation massive et plurielle, servant d’échéance structurante à cette dynamique de mobilisation sur la question du foncier et du logement, devra marquer un avant et un après dans cette bataille. Elle devra lancer, avec l’énergie et le nombre suffisant, les bases du rapport de force et des batailles des années suivantes. Fixer la date de cette manifestation massive quelques jours ou semaines avant l’adoption du PLH par la CAPB pourrait donner un maximum de poids et de légitimité aux réserves et conditions posées par un certain nombre de communes pour cette adoption.

d) Créer des actes et moments de rupture, qui renversent le cours des choses et stoppent les évolutions mortifères, qui aient un effet dissuasif pour les divers acteurs s’apprêtant à aggraver ces évolutions et ces dérives. Bien évidemment, la question n’est pas simple car on peut se demander comment faire par exemple pour stopper la construction des 20 000 nouvelles résidences secondaires, si l’on se refuse à poser des bombes et à passer par la case, humainement très coûteuse et de toutes façons perdante à moyenne et long terme dans nos sociétés actuelles, de l’action violente et clandestine ?
Heureusement, le répertoire de la non-violence déterminée et de la désobéissance civile regorge de possibilités et de pistes d’actions, qui peuvent entre toutes participer à construire des stratégies gagnantes sur ce terrain.

Si c’est vide, on occupe

Pour n’en donner qu’un exemple possible parmi bien d’autres imaginables, un ensemble d’organisations déterminées pourraient joindre leurs forces pour lancer un ultimatum à doter du maximum d’impact médiatique et de résonance locale et hexagonale : Toute résidence ou logement construit à partir de 2022 ou 2023 qui se révélerait être une résidence secondaire serait désormais la cible potentielle d’une occupation permanente par la coalition de ces mouvements.
Les maisons ou appartements ainsi ouverts par ces mouvements seraient mis à la disposition de personnes et familles sans logement, mais également d’associations, d’alternatives concrètes ou de campagnes diverses : enseignement de l’euskara, centre culturel local, coopératives de production alternative, lieux de dépôt-vente de circuits courts alimentaires ou autres, espaces test agricoles, recycleries, ateliers vélo, gaztetxe, peñas etc.

Bien entendu, ce mouvement massif et original d’occupation / mise à la disposition serait confronté à la répression, mais celle-ci se révélerait vite contre-productive, offrant chaque fois plus de procès-tribunes et d’inculpé.es-porte-paroles d’une cause qui deviendrait incontournable et omniprésente.

L’objectif serait de créer peu à peu un effet dissuasif pour les acheteurs potentiels des futures 20 000 résidences secondaires. Ils doivent intégrer que cette acquisition constituerait une sorte de loterie, et que le long processus d’emmerdements qu’ils risquent en achetant en Pays Basque n’en vaut pas la chandelle.

Développer les alternatives

e) Renforcer en parallèle les nombreuses alternatives existantes, anciennes ou plus récentes, qui réalisent un travail aussi exceptionnel qu’innovant (Lurzaindia, Etxalde, Maillâges, COL etc) et impulser celles qui manquent.

Là encore, donnons un exemple pour permettre de visualiser la richesse du répertoire possible d’intervention, en faisant une proposition parmi beaucoup d’autres imaginables, celle d’un « Lurzaindia du logement vacant ». On compte en effet aujourd’hui un peu plus de 12 000 logements vacants en Iparralde, dont plus de 40% sont concentrés sur les trois communes du BAB (Où malgré l’explosion de la demande non satisfaite, ce problème est aussi important, voire plus qu’en Pays Basque intérieur). Ces logements sont aujourd’hui vacants pour des raisons multiples : le départ en maison de retraite, la non-organisation des héritages, des problèmes de solvabilité pour rénover un logement, les freins affectifs à la vente, etc. Les remettre sur le marché locatif est un enjeu majeur, permettant d’éviter autant de constructions, de limiter l’étalement urbain et la création de nouveaux réseaux etc. Aujourd’hui, il apparaît nécessaire de créer une structure, un outil citoyen qui permette de reconquérir ces logements. Comment ? Déjà en identifiant et localisant les logements vacants. Ensuite, cette structure assurerait toute l’ingénierie pour débloquer les situations, convaincre les propriétaires et surtout les aider à remettre les logements sur le « marché », par exemple en proposant des baux à réhabilitation. La structure citoyenne devra sécuriser ces propriétaires, en assurant la réhabilitation et la rénovation énergétique des logements, mais aussi la gestion locative. Cela nécessitera une ingénierie financière et la mobilisation d’un fond d’investissement citoyen.

Effet levier

En s’appuyant résolument sur ces alternatives, la future campagne populaire pour vivre et se loger en Pays Basque renforcera sa légitimité en montrant qu’elle ne se contente pas de dénoncer et de s’opposer, mais qu’elle propose et qu’elle construit dans le même temps. En multipliant les mobilisations et les actes de résistance ou de désobéissance civile, cette campagne installera la question du logement et du foncier au centre de l’agenda et du débat public, elle formera et multipliera le nombre de volontaires prêts à s’investir dans les différentes alternatives concrètes. Les deux dynamiques, de résistance et d’alternative, s’auto-alimenteront de manière permanente et croissante.

Enfin, cette mobilisation populaire est indispensable pour pousser au maximum d’ambition et de volontarisme les élus pouvant agir au niveau communal et intercommunal ; et pour donner le maximum d’écho et de légitimité aux propositions qui pourront être plaidées au niveau législatif.

 

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