Coronavirus : le roi est nu

2020/04/15
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Txetx Etcheverry, Enbata (Article du 31/03/2020)

L’épidémie actuelle souligne les carences d’un système incapable de prévenir une situation malgré son caractère prévisible. Le coût social, humain et économique de cette crise historique annonce les catastrophes de demain, liées au dérèglement climatique que les gouvernants ne parviennent pas plus à anticiper.

La crise que nous traversons aujourd’hui a quelque chose d’historique. Écoles, bars, restaurants, commerces non essentiels fermés, notre société n’avait pas connu cela, y compris pendant les deux guerres mondiales du siècle passé.

Ce qui me frappe particulièrement en tant que militant Bizi et Alternatiba, ce sont les similitudes fondamentales qu’on retrouve dans l’attitude de nos dirigeants et le fonctionnement de notre système face à cette crise sanitaire et à celles du climat et de la biodiversité. Il y a de quoi s’inquiéter pour la suite des événements si nous ne tirons pas les leçons qu’il convient de ce moment inédit.

Nos dirigeants étaient avertis -premières crises, rapports et scientifiques avaient clairement tiré la sonnette d’alarme- et ils n’en n’ont pas tenu compte. Ils n’ont pas adapté leurs politiques et mis en place les mesures pour prévenir et juguler au maximum la propagation des épidémies pourtant annoncées.

L’inaction a un coût extrêmement plus élevé que celui de l’action. En matière de lutte contre le changement climatique comme pour la crise sanitaire actuelle, des politiques ambitieuses d’atténuation et d’adaptation étaient possibles et nécessaires depuis longtemps. Mais elles représentent un coût, et peu ou pas de sources de profit immédiat, notamment pour le monde des multinationales et des actionnaires. Résultat, nos dirigeants ne les mettent pas en place, la catastrophe annoncée se produit dans les pires conditions et le résultat final est incomparablement plus coûteux, sur les plans humain, social et économique.

Un système incapable de prévenir et de faire face

De nombreux spécialistes ont formulé avec précision les dangers et les enjeux, notamment depuis la crise du Sras en 2003, et alerté sur la vulnérabilité de nos sociétés face aux prévisions « d’épidémies plus fréquentes de maladies infectieuses, en raison de l’urbanisation rapide et non planifiée, des crises humanitaires prolongées, de l’incursion humaine dans des terres auparavant non encore exploitées, l’expansion des voyages et du commerce internationaux et le changement climatique régional ».

En 2005, le rapport parlementaire « sur le risque épidémique » porté notamment par la sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin alertait déjà sur la menace constituée par les virus de type respiratoire en temps de mondialisation et de multiplication des voyages rapides en avion, et sur l’impréparation de la France devant ce péril, en termes de moyens, de recherche scientifique, de préparation de vaccins.

Ce rapport décrivait les conditions de protection contre une telle épidémie, le temps de trouver un médicament puis un vaccin : « Si nous entrons dans une phase pandémique contagieuse d’homme à homme, une des trois méthodes pour lutter contre une telle épidémie est la mise en place de barrières physiques, ce qui implique que les personnes en contact avec le public puissent disposer de masques adaptés à la pandémie. »(…) « Les autorités interrogées par vos rapporteurs pensent que des masques classiques, de type masques de chirurgien, n’offriraient qu’une protection extrêmement limitée. Il serait souhaitable de disposer de modèles extrêmement efficaces mais relativement coûteux. » (…) « La mise à disposition de masques en nombre suffisant aurait certainement un coût très élevé mais, en même temps, aiderait à limiter la paralysie du pays. Vu sous cet angle, il convient de relativiser le coût. »

L’OMS avait bien plus récemment pointé très précisément du doigt les risques que faisaient encourir les marchés d’animaux sauvages dans les villes de Pékin et de Wuhan d’où est partie l’épidémie actuelle de coronavirus.

Wuhan a été mise en quarantaine dès janvier 2020, les dirigeants du monde entier étant dès lors pleinement informés de la gravité de la situation et des mesures à prendre pour éviter d’en arriver chez eux à de tels extrêmes. Très peu ont mis ces 2 mois à profit pour faire le nécessaire.

L’ancien chef économiste et directeur exécutif de l’Agence Française de Développement Gaël Giraud le formule sans détour : « Il faut commencer par le redire, au risque de choquer aujourd’hui, la pandémie du Covid-19 aurait dû rester ce qu’elle est : une pandémie un peu plus virale et létale que la grippe saisonnière, dont les effets sont bénins sur une vaste majorité de la population mais très grave pour une petite fraction. Au lieu de cela, le démantèlement du système de santé européen et nord-américain commencé depuis plus de dix ans a transformé ce virus en catastrophe inédite de l’histoire de l’humanité qui menace l’entièreté de nos systèmes économiques. » (…) « Il aurait été relativement facile de juguler la pandémie en pratiquant un dépistage systématique des personnes infectées dès l’apparition des premiers cas, en traçant leurs déplacements et en plaçant en quarantaine ciblée le (tout petit) nombre de personnes concernées. Tout en distribuant massivement des masques à toute la population susceptible d’être contaminée afin de ralentir encore davantage les risques de dissémination. C’est ce qu’ont fait notamment la Corée du Sud et Taïwan avec succès, puisqu’elles ont enrayé le mal sans aucun confinement collectif. »

Et c’est loin d’être fini

Bref, le roi est nu. Ce système capitaliste présenté comme le seul « qui marche » est en fait en train de creuser notre tombe collective. Non seulement, il va multiplier les nouvelles sources de pandémies par les grands déséquilibres écologiques et climatiques qu’il cause, mais il se révèle impuissant face à elles. Résultats de cette incapacité du système et de nos dirigeants actuels à écouter la science, à anticiper, à prévenir et atténuer, ici en matière sanitaire comme depuis 25 ans en matière climatique : un système de santé publique que tant d’années de politiques néo-libérales ont délibérément affaibli saturé par un pic d’infections graves qu’on aurait pu limiter et lisser dans le temps, et un confinement général de la population avec un coût humain, social et économique terrible. Personnels soignants, personnes âgées, femmes et enfants maltraité.e.s enfermés avec leur agresseur, migrants, SDF, caissières de supermarché travaillant la peur au ventre et tant d’autres paient le prix fort de cette incurie. Combien de petits commerçants, artisans et paysans ne s’en relèveront pas ? A quelle sauce les salariés seront-ils mangés pour compenser les pertes des actionnaires pendant cette période où un tiers de la capitalisation boursière mondiale est partie en fumée ? Gaël Giraud estime qu’il pourrait y avoir un million de chômeurs supplémentaires en France après cette crise.

Et ce confinement général n’aura servi à rien si on ne met pas en route à sa sortie les mesures qu’il aurait fallu prendre dès janvier et février : distribuer massivement des tests de dépistage et des masques de protection, mettre en quarantaine les personnes encore positives, ainsi que leur entourage ; maintenir les gestes élémentaires d’hygiène et poursuivre les tests probablement tout l’été au moins. Car le virus sera toujours là quand nous sortirons du confinement, il s’est répandu sur toute la planète, et nous devrons gérer sa présence, et ses possibles mutations, pendant au moins une année entière.

Nous devons absolument tirer des leçons de cette crise sans précédent, ses causes, l’incapacité du néo-libéralisme et de nos dirigeants actuels à la prévenir, à la contenir et à la gérer rationnellement. Nous devons aussi tirer les leçons de ce qu’elle révèle de la fragilité de nos sociétés de moins en moins autonomes et résilientes. J’y reviendrais dans le prochain Enbata.